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Drogues illicites, territoire et conflits en Afghanistan et en Birmanie

Drogues illicites, territoire et conflits
en Afghanistan et en Birmanie

Pierre-Arnaud Chouvy [1]

Hérodote
n° 112, Géopolitique des drogues illicites
(Numéro coordonné par Pierre-Arnaud Chouvy et Laurent Laniel)
1er trimestre 2004. La Découverte, pp. 84-104.


Résumé:
Le Triangle d’Or (Birmanie, Laos, Thaïlande) et le Croissant d’Or (Afghanistan, Iran, Pakistan), les deux principaux espaces de production illicite d’opium en Asie et dans le monde, sont marqués par une importante superposition d’ensembles spatiaux qui, à travers des géohistoires complexes, leur ont légués autant de discontinuités, de fronts et de frontières. Dans le contexte des économies de guerre qui sont les leurs, où du nerf de la guerre l’opium en devient l’enjeu, les deux espaces se révèlent être soumis à des processus de territorialisation qui se font par, pour et même contre l’opium. Ils correspondent donc davantage à des mosaïques territoriales aux géométries et limites variables qu’à des territoires bien définis et à part entière.


Introduction

En Asie, le « Triangle d’Or » (stricto sensu les espaces frontaliers contigus de la Birmanie, du Laos et de la Thaïlande) et du « Croissant d’Or » (stricto sensu ceux de l’Afghanistan, de l’Iran et du Pakistan) sont les deux espaces actuels de production illicite d’opium. Certes, des surfaces cultivées en pavot à opium existent également en Inde, où la production est légale puisque à usage pharmaceutique, ainsi qu’en Chine et en Asie centrale, où elle est illégale, mais elles n’ont pas l’importance de celles d’Asie du Sud-Est et d’Asie du Sud-Ouest, que ce soit en terme de superficie, de potentiel commercial ou d’impact géopolitique.

Au sein de ces deux espaces, ce sont la Birmanie et l’Afghanistan qui sont les plus importants producteurs illicites d’opium et d’héroïne au monde, le Laos arrivant en troisième position (120 tonnes d’opium récoltées sur 12 000 ha). Ainsi, en 2003, la Birmanie est le deuxième producteur illicite d’opium, avec 810 tonnes (62 000 ha), derrière l’Afghanistan qui, avec ses 3 600 tonnes (80 000 ha), a produit les trois quarts de l’opium illicite mondial [2] . Les raisons d’un tel développement des économies illégales dans les deux pays sont, certes, multiples et complexes. Mais, à côté des dimensions plus strictement socio-économiques de tels phénomènes, il convient toutefois de souligner le rôle primordial que leurs contextes politico-territoriaux et leurs conflits armés pour le moins complexes ont joué depuis plusieurs décennies dans la pérennisation de telles productions [3] .

Triangle d’Or et Croissant d’Or : des superpositions d’ensembles spatiaux multiples

L’Asie du Sud-Est et l’Asie du Sud-Ouest sont caractérisées, certes au même titre que d’autres régions, par l’imbrication et la superposition d’ensembles spatiaux multiples et variés : des ensembles spatialement délimités et de tailles différentes qui peuvent être définis et caractérisés par différentes variables, qu’elles soient physiques, économiques, culturelles, sociales, linguistiques, politiques ou encore territoriales. En effet, si l’on considère le cas de l’Asie du Sud-Est continentale, et plus spécifiquement les hautes terres de l’éventail nord-indochinois, le phénomène apparaît de façon très nette et dans toute sa complexité. Ici, une approche multiscalaire permet de distinguer une multitude d’aires ethniques, nationales, étatiques, religieuses et linguistiques dont l’enchevêtrement, l’imbrication et la superposition déterminent une richesse et une complexité quasiment inégalées dans le reste du monde. Rappelons que Georges Condominas caractérise la cartographie ethnolinguistique de l’Asie du Sud-Est de « tableau tachiste » [4] . Et l’Asie du Sud-Ouest, qui est également caractérisée par la grande complexité et richesse de la répartition spatiale de ses différentes composantes de population, a pareillement marqué les esprits de ses plus grands connaisseurs, parmi lesquels Louis Dupree. C’est ce dernier qui a exprimé la façon dont les populations afghanes rivalisent en variété ethnique, linguistique et physique avec celle de sa topographie [5] . Mais la confrontation de la carte ethnolinguistique à celle du relief, qui reste encore éminemment problématique et controversée en Afghanistan [6] , a donné lieu à des remarques et questionnements similaires en Asie du Sud-Est, où elle a fait ressortir immédiatement une des caractéristiques essentielles de son peuplement : l’opposition entre les basses terres, domaine des grandes civilisations et des fortes densités, et les hautes terres, peu peuplées par des groupes ethniques éparpillés et d’une grande hétérogénéité [7] .

La superposition des ensembles spatiaux d’Asie du Sud-Est continentale forme en certains endroits un terrain propice au recours à l’économie de la drogue. Ainsi, le Triangle d’Or, cet espace altitudinal, marginal, polyethnique et interétatique, est avant tout un espace de production illégale, un espace de culture répandue et pérennisée – mais somme toute récente – de pavot à opium. Il est surimposé à cette multitude d’ensembles spatiaux divers dont la réunion, la conjonction et même l’opposition font la nature et la spécificité. Il est cet espace dont l’unité est caractérisée et déterminée par une diversité prodigieuse, ce lieu d’intersection, de transition et de passage, de migration. Le Triangle d’Or est tout autant lieu de rencontre que de division, il est composé d’autant d’ensembles spatiaux que de discontinuités spatiales qui les délimitent ou les marquent, lesquelles sont autant de fronts et de frontières. Outre la multiplicité de la superposition des ensembles spatiaux qui caractérise l’Asie du Sud-Est continentale en général et le Triangle d’Or en particulier, l’inadéquation de la superposition de ces ensembles entre eux, leur discordance, se présente comme le problème majeur de la région et permet d’appréhender la réalité spécifique du Triangle d’Or. De ses trois pays constitutifs, la Birmanie, le Laos et la Thaïlande, aucun ne possède cette superposition aboutie et primordiale des ensembles spatiaux étatique et national qui permet d’obtenir un Etat-nation. Les situations politico-territoriales des trois Etats, avec les revendications identitaires et territoriales de leurs populations frontalières, illustrent de façon significative le cas de ces Etats non-nationaux [qui] sont en effet assimilables à des systèmes spatiaux hétérogènes, et de ce fait, spatialement différenciés [8] .

Le cas du Croissant d’Or est schématiquement comparable à celui de l’Asie du Sud-Est. Certes, les spécificités n’y sont pas les mêmes, qu’il s’agisse des données physiques, ethniques, linguistiques ou religieuses. Mais, nous l’avons dit, la richesse et la diversité des populations rappellent celle du sud-est asiatique, au même titre que son relief pour le moins tourmenté, même si les oppositions entre plaines et montagnes y sont différentes. Là aussi, une multiplicité d’ensembles spatiaux distincts et superposés les uns aux autres forme la structure spatiale sous-jacente de l’espace de production illégale du Croissant d’Or. Qu’il s’agisse de l’Afghanistan, du Pakistan ou de l’Iran, le modèle unitaire de l’Etat-nation n’est pas réalisé et les frontières étatiques sont chevauchées par nombre d’ensembles spatiaux qui nient leur existence et légitimité même. Ici, comme en Asie du Sud-Est, nombreuses sont les populations qui, nomades de surcroît, se sont vues divisées par l’imposition de frontières étatiques issues d’une modernité qui était restée inaccessible pour la grande majorité d’entre eux. Ainsi des Hmong et des Pachtoun ghilzaï [9] par exemple, dont le mode de vie même a été profondément et brutalement remis en question par la surimposition à leurs espaces sociaux [10] respectifs du cadre territorial des Etats modernes d’Asie du Sud-Est et du Sud-Ouest. D’autres, sédentaires ou sédentarisés, comme les Shan et divers Pachtoun [11] des frontières birmano-thaïlandaise et afghano-pakistanaise, ont vu leurs territoires ethnolinguistiques divisés et leurs allégeances traditionnelles remaniées au profit des Etats modernes. A l’instar du Triangle d’Or, le Croissant d’Or est surimposé aux territoires que trois Etats avaient précédemment imposés aux populations locales. C’est en effet entre autres le Pachtounistan rêvé des Pachtoun et le Kalat (ou Baloutchistan) perdu des Baloutche qui, divisés entre l’Afghanistan, l’Iran et le Pakistan mais toujours incontrôlés, fournissent la colonne vertébrale des structures spatiales de l’économie de la drogue dans la région. En effet, c’est autour de ces régions frontalières et mal contrôlées que s’organisent les productions d’opium, qu’elles soient pakistanaises ou afghanes, tout comme le trafic, que celui-ci passe par les Baloutchistan iranien ou pakistanais. La structuration des zones de production et des axes du trafic par les frontières est un phénomène qui existe de façon très similaire dans les deux espaces de production du Triangle d’Or et du Croissant d’Or.

Les deux régions ont en commun le fait d’avoir bénéficié de l’intersection d’ensembles spatiaux multiples à différentes échelles et de toutes les discontinuités que cela a impliqué. Si les émergences respectives des deux espaces ont pu procéder de ces structurations spatiales, leurs acteurs directs ont quant à eux su en exploiter les faiblesses inhérentes. Ces caractéristiques spatiales, qui sont autant de contraintes pour les autorités étatiques, ont été judicieusement exploitées par différents acteurs, qu’ils soient simples cultivateurs de pavot à opium, narcotrafiquants, rebelles autonomistes et, ou, communistes, ou tout cela à la fois. Les différents ensembles spatiaux qui, de façon entière ou partielle, composent le Triangle d’Or et le Croissant d’Or, ainsi que ceux, plus vastes, dans lesquels les deux espaces sont englobés et dont ils sont partie intégrante, permettent donc d’appréhender certaines des réalités passées, présentes et à venir de la narco-économie en Asie. Car, en effet, comme le note de façon théorique J.-M. Hoerner à propos de ce qu’il nomme des « territoires empilés », cet empilement des espaces doit être considéré comme un emboîtement discordant, dans la mesure où ceux-ci ne sont pas toujours correspondants. Par ailleurs, cet empilement doit également tenir compte des différents temps du monde : longs, quand les évolutions sont lentes et plus courts, lorsqu’il s’agit des temps de crise par exemple [12] .

 Frontières, fronts et discontinuités spatiales

A l’instar de certains territoires, les espaces du Triangle d’Or et du Croissant d’Or ne se définissent pas tant par des frontières que par des réseaux et des flux. Ils sont moins caractérisés par des frontières étatiques que par leur superposition, en tant qu’ensembles spatiaux, à ces mêmes frontières [13] . La frontière, ou la division qu’elle représente dans l’espace physique et juridique [14] , détermine la nature de l’espace considéré, en l’occurrence frontalier. En effet, la frontière ne doit pas être réifiée, mais doit être considérée comme tout ou partie de l’enveloppe linéaire d’ensembles spatiaux de nature politique, dans le cadre desquels on décidera que, selon les circonstances, la frontière sera fermée ou ouverte, la ligne perméable ou étanche [15] . Si l’imposition d’une frontière a une influence sur l’espace qu’elle divise, sur ceux qu’elle sépare, ceux-ci, selon leur nature physiographique, démographique, économique comme politique, peuvent également déterminer la nature de la frontière [16] . Elle peut être ouverte ou fermée et laisser passer ou s’opposer au passage de flux divers et variés, licites et illicites. Ainsi, comme le remarque J.R.V. Prescott, la frontière doit être considérée dans le contexte des Etats qui la flanquent, en ce que la ligne-frontière (border) et la région-frontière (frontier) influencent et le paysage dont elles sont parties constituantes, et les politiques de ces mêmes Etats [17] . Toutefois, si l’ouverture ou la fermeture d’une frontière relève de la décision de l’Etat, son respect, en particulier celui de sa fermeture, dépend plus des espaces frontaliers et étatiques qui la flanquent et des populations qui y demeurent.

Dans des espaces de production illicite comme ceux du Triangle d’Or et du Croissant d’Or, les frontières étatiques, comme les routes, sont souvent fermées pour interdire le développement de flux illégaux de produits illicites (et même licites dans le cas de la contrebande). La volonté d’interdiction d’accès, unilatérale ou non, comme le contournement des mesures adoptées dans ce but, résultent alors ici des caractéristiques fondamentales des espaces concernés. Les acteurs du Triangle d’Or et du Croissant d’Or exploitent donc l’existence et la nature des frontières étatiques auxquelles les deux espaces sont surimposés. Les frontières peuvent en effet être d’autant plus exploitées qu’elles sont la matérialisation de véritables discontinuités spatiales. C’est la non-homogénéité de l’espace (ici particulièrement du point de vue économique, politique et juridique), confirmée, augmentée ou créée par l’imposition de frontières, qui fait que toute discontinuité spatiale, séparant et unissant, appelle au passage, au franchissement, à la mise en valeur des différences.

C’est précisément d’une organisation de l’espace basée sur la mise en valeur et l’exploitation des discontinuités spatiales et des frontières qu’ont procédé les émergences du Triangle d’Or et du Croissant d’Or. En effet, dès lors que les frontières matérialisent une discontinuité majeure au sein des conditions économiques, politiques et, ou, juridiques, les activités de production et les flux sont organisés par les acteurs afin d’exploiter ces valences différentielles, c’est-à-dire « les puissances d’attraction ou de répulsion d’un objet ou d’une activité » [18] . Ainsi, dans le cas d’une économie de production illicite qui est tolérée, ou même taxée, par les autorités d’un côté d’une frontière (Afghanistan ou Birmanie) et qui est sévèrement réprimée comme parfois aussi taxée de l’autre côté (entre autres : Pakistan, Thaïlande, mais aussi Iran ou Chine), la valence positive, ou puissance d’attraction, concerne l’activité de production dans les premiers pays, et la commercialisation et la consommation du produit dans les seconds. Si la frontière et la limite territoriale et juridique qu’elle représente peuvent autoriser une production illicite d’un côté, son franchissement illégal augmente alors d’autant plus la valeur du produit illicite. Les narcotrafiquants expérimentent donc une valence positive croissante au fur et à mesure du franchissement des multiples frontières étatiques, phénomène que l’on observe aisément à travers l’effet de multiplication des prix qui s’opère entre les étapes de production et de consommation. De fait, toute barrière incite à son franchissement, tout interdit à sa transgression [19] .

Mais les frontières étatiques ne sont pas les seules discontinuités spatiales à présenter une réelle pertinence lors de l’analyse des espaces du Triangle d’Or et du Croissant d’Or. Nous l’avons dit, les deux espaces peuvent en effet être appréhendés à travers la superposition discordante de multiples ensembles spatiaux aussi distincts que variés, comme à travers la grande richesse de leurs niches écologiques et économiques. Ces ensembles spatiaux et ces niches présupposent au moins autant de discontinuités spatiales, plus ou moins matérialisées et inscrites dans l’organisation de l’espace, qui peuvent être par exemple les limites des terroirs, des territoires, ou encore des espaces de relation : ainsi un enchevêtrement de discontinuités compose l’espace géographique [20] et tout particulièrement ceux du Triangle d’Or et du Croissant d’Or. En effet, des discontinuités spatiales majeures apparaissent dans l’organisation de l’espace des deux régions où les basses terres irriguées du Pendjab pakistanais et des riziculteurs thaï sont celles où sont installés les centres de pouvoir étatique et économique ; et où les collines et les montagnes réunissent les cultures de pavot des groupes tribaux, qu’il s’agisse des hautes vallées pachtoun de Dir ou des essarts des crêtes hmong de la région de Mae Hong Son. Elles n’opèrent donc pas seulement sur un plan horizontal mais également sur un plan vertical [21] . Les discontinuités spatiales sont nombreuses et peuvent n’apparaître que dans la gradation et la progressivité de la transition entre les différents espaces. Il en est ainsi par exemple des différences démographiques, économiques et politiques que l’observateur attentif peut déceler dans l’organisation de l’espace : les infrastructures de communication et les équipements médico-sociaux en sont des témoignages qui trompent rarement.

Les discontinuités spatiales sont donc constitutives de la nature et de l’organisation des espaces du Triangle d’Or et du Croissant d’Or. En effet, dans les deux espaces, les frontières, discontinuités spatiales par excellence, ont souvent été, et sont encore parfois en certains segments de leur tracé, de véritables fronts, c’est-à-dire les lignes d’affrontement. Mais, par rapport à l’acception originale du terme, les fronts ont changé. Ils ont subi l’évolution inverse de celle des frontières et des zones frontières : les zones frontalières de transition, non démarquées et délimitées, qui unissaient les différents espaces politiques d’Asie du Sud-Est continentale par exemple, sont devenues des lignes frontières, reconnues par des traités internationaux. Les fronts militaires, eux, ne serait-ce qu’avec les frappes aériennes, ont acquis une profondeur que les frontières ont perdue. Et cela est désormais d’autant plus vrai des fronts de la lutte contre la drogue (ou contre le terrorisme) dont les acteurs ne reconnaissent parfois même plus la frontière comme limite effective de juridiction. Les frontières qui séparent les pays constitutifs des espaces du Triangle d’Or et du Croissant d’Or ont été tournées en de véritables fronts de la guerre contre la drogue, à l’instar de celle qui existe entre l’Iran et l’Afghanistan et qui est matérialisé par des murs en béton armé, des fossés, des barbelés, des barrières électroniques et électrifiées, et même des champs de mines. Mais la constitution de la frontière en un tel front matériel n’a toutefois pas empêché à la lutte antidrogue (et donc au front) d’atteindre une profondeur territoriale d’échelle nationale. En effet, la lutte contre le narcotrafic, si elle commence véritablement aux frontières des Etats concernés, et même si elle se trouve de plus en plus militarisée dans les faits comme dans les discours (« guerre à la drogue », « menaces sécuritaires »), n’en reste pas moins une action qui s’exerce sur tout l’espace des entités politico-territoriales concernées ; d’un bout à l’autre du pays, d’une frontière à une autre : en Iran, de l’Afghanistan à la Turquie ou au Pakistan ; au Laos, de la Birmanie à la Thaïlande ou au Vietnam. Dans et pour les pays concernés, le front de la guerre contre la drogue, s’il commence et finit certes aux frontières interétatiques, est surtout caractérisé par sa profondeur territoriale. Il relève plus de la surface que de la ligne et se rapproche donc plus de la frontier que de la boundary, celle-ci n’étant de toute façon jamais aussi étanche et respectée que les acteurs étatiques le voudraient. Dans le contexte du narcotrafic, la notion de front est donc plus une représentation instrumentalisée par les acteurs des sphères politiques et sécuritaires, qu’une réalité pratique et opératoire, ainsi que la multiplication et la diversification des itinéraires du narcotrafic dans et autour des espaces transfrontaliers du Triangle d’Or et du Croissant d’Or l’ont montré au cours de la dernière décennie [22] .

Triangle d’Or et Croissant d’Or : des mosaïques territoriales

Le territoire revêt une importance toute particulière dans la définition et l’émergence des espaces du Triangle d’Or et du Croissant d’Or. Les deux espaces constituent en effet des « laboratoires vivants » de la géopolitique et de la géostratégie en Asie. Comme l’explique Yves Lacoste, le territoire est au centre de la géopolitique en tant que démarche scientifique [23] . Les espaces du Triangle d’Or et du Croissant d’Or, lieux de rivalités de pouvoirs et théâtres d’affrontements historiques par excellence en Asie, soulèvent donc des problématiques territoriales autour de l’enjeu de la drogue et de ses ressources qui sont éminemment géopolitiques. Mais peut-on qualifier le Triangle d’Or et le Croissant d’Or, en premier lieu, de territoires, et enfin de territoires de l’opium ? On s’accorde généralement à penser que le territoire, au-delà de l’acception strictement éthologique du terme, est un espace approprié ou, comme le proposait A. Frémont, un espace-appropriation [24] .

Le processus de territorialisation se manifeste, à travers les rivalités de pouvoirs qui s’exercent sur les territoires, d’une part dans le jeu multiple de la fluctuation des centres et des périphéries, et d’autre part dans la délimitation de frontières de natures différentes, étatiques ou non. En effet, les territoires ont naturellement des limites et quand ils sont institutionnalisés, ces limites deviennent des frontières. […] Quoi qu’il en soit, et surtout quelle que soit la nature de la frontière, il existe des territoires transfrontaliers… [25]

Le territoire est ainsi un espace approprié qui procède de la relation dialectique déterminante qui existe entre le politique, l’identitaire et le spatial. Se pose donc inévitablement, lors de la définition de la notion de territoire, la question primordiale de la nature de la relation qui existe entre l’Etat et la nation, de la concordance ou non des ensembles spatiaux étatiques et nationaux, sur un même territoire délimité par des frontières communes, l’Etat-nation étant une symbiose ethno-politique. En effet, l’Etat, c’est avant tout un territoire [26] , l’aboutissement d’un processus de territorialisation, en ce qu’il est soumis à des forces centripètes (centralisation, uniformisation) et centrifuges (partition, morcellement du territoire par des allégeances identitaires multiples). La dynamique géopolitique, celle de l’Etat et du territoire, résulte en partie de l’intervention de ce que l’on pourrait appeler des « acteurs non étatiques » ou des sous-systèmes, ethnies minoritaires ou majoritaires, dominées ou dominantes, communautés religieuses et linguistiques, clans, tribus, factions, clientèles, partis politiques minoritaires et diasporas [27] .

Le Triangle d’Or et le Croissant d’Or peuvent-ils donc être caractérisés de territoires à part entière ? Le Triangle d’Or est caractérisé et peut être défini par l’activité économique qui, en valeur tout au moins, y prédomine : la culture illégale de pavot à opium et la production d’opium et d’héroïne. Cet ensemble spatial n’est bien sûr pas délimité de façon précise ou stable, tant les cultures et les laboratoires de transformation ont été déplacés au fur et à mesure de l’évolution historique des rapports de forces et de pouvoir inhérents à une région polyethnique et interétatique. On peut même dire que les expansions et translations des aires de production dans certains pays du Triangle d’Or et du Croissant d’Or ont été les corollaires de leurs contractions ou de leurs reculs dans d’autres : les productions d’opium en Birmanie et en Afghanistan se sont en effet d’autant plus développées qu’elles diminuaient en Thaïlande et au Pakistan.

Ce sont la production et la transformation illégales des opiacés qui font la spécificité du Triangle d’Or et du Croissant d’Or en tant qu’ensembles spatiaux, même si leurs appellations procèdent plus du phénomène des représentations que d’une réalité géographique précisément délimitable et cartographiable. Ils correspondent à des représentations spatiales, et surtout phénoménales, des réalités qui caractérisent un espace donné. Ils ne constituent pas chacun un territoire, ni ne sont composés d’un seul et unique territoire, puisqu’ils sont déjà surimposés aux entités politico-territoriales des Etats et à leurs frontières institutionnalisées. Quant aux territoires étatiques auxquels ces deux espaces sont surimposés, s’ils apparaissent comme les plus reconnus internationalement car les plus institutionnalisés, les autres types de territoire, issus de différents processus et degrés de territorialisation, sont tout aussi ancrés dans l’espace, sinon parfois plus. Ces territoires alternatifs peuvent même, dans certains cas, mettre en péril l’intégrité territoriale des Etats. Ainsi, par le conflit, les narcotrafiquants s’approprient et se soustraient même des territoires, des régions de culture du pavot, des zones de transformation de l’héroïne ou des couloirs d’exportation de leurs productions. Les armées ethniques autonomistes de la périphérie birmane affirment leurs ancrages territoriaux en justifiant leurs appropriations à travers la référence à une certaine unité ou homogénéité ethnique, linguistique, voire même religieuse ou idéologique. Et l’imposition aux minorités ethniques montagnardes de la religion bouddhiste et de la langue thaï, comme marqueurs de la nationalité et de la citoyenneté thaïlandaise, fournit un exemple d’un processus de territorialisation stato-national que l’on peut retrouver ailleurs qu’en Thaïlande. Ce qui est par exemple le cas des tentatives de pachtounisation qui ont caractérisé l’histoire afghane contemporaine, ou du processus de « talibanisation », véritable complexe ethnico-religieux d’un islam rigoriste teinté des principes du pachtounwali, qui se développe au Pakistan.

Le Triangle d’Or et le Croissant d’Or, en tant que territoires pluriels plus ou moins achevés, sont donc d’autant plus objets de rivalités de pouvoirs et sujets de nombreux rapports de forces. Les productions illégales dans ces deux espaces sont en effet rendues possibles en partie par cette agrégation, cette superposition discordante de multiples ensembles spatiaux qui tendent à s’inscrire de façon territoriale et à donner corps à autant de pouvoirs et contre-pouvoirs. Les espaces du Triangle d’Or et du Croissant d’Or sont donc autant caractérisés par leurs productions illégales que par ces territorialisations multiples. En effet, celles-ci, dans le cadre politico-territorial des Etats qui ne sont pas encore structurés en Etats-nations, remettent en cause l’équilibre fragile existant entre forces centripètes et centrifuges.

Il n’y a ainsi pas un seul territoire du Triangle d’Or ou un seul territoire du Croissant d’Or, mais deux ensembles spatiaux dont les aires de productions illégales fluctuent au gré de l’évolution des processus de territorialisation des Etats et des sous-systèmes ou acteurs non-étatiques qui les composent. Le Triangle d’Or originel, tel que ses productions l’ont ancré en Birmanie, au Laos et en Thaïlande, a effectivement changé de géométrie lorsqu’en conséquence de l’affirmation du pouvoir politico-territorial de l’Etat thaïlandais, la culture du pavot a été quasiment éradiquée de la périphérie montagneuse du royaume pour ne subsister que de l’autre côté de la frontière interétatique, en Birmanie. La quête inachevée de l’unité politico-territoriale, et la plus ou moins grande résistance des minorités à cette quête, qui caractérisent l’histoire de la Birmanie depuis son indépendance, ont permis, à travers la conservation d’une complexe mosaïque territoriale dans la périphérie du pays, le développement de l’économie de l’opium que l’on connaissait encore en 2000. La même chose est vraie de la situation du Croissant d’Or dont la croissance de la production d’opiacés a grandement bénéficié de ces multiples processus de territorialisation inachevés au Pakistan et en Afghanistan (notamment ceux de la guerre civile ou, plutôt, transnationale, en Afghanistan). Les problématiques territoriales complexes du Pakistan et de ses régions frontalières tribales avaient en effet permis une production d’opium et d’héroïne qui a désormais trouvé un terreau fertile dans l’imbroglio politico-territorial de l’Afghanistan voisin. Mais, par rapport à la complexité et à la diversité qui prévalent en Birmanie, en Afghanistan, où l’autorité des taliban était jusqu’à récemment affirmée dans près de 85 % du pays, une territorialisation plus unitaire y a vraisemblablement permis l’instauration et le respect (en 2000 – 2001 au moins) de la prohibition déclarée par le amir al-mu’minin (commandeur des croyants), le mullah Omar, en juillet 2000 [28] . Le territoire se trouve donc clairement au cœur de la problématique du développement de la production de plantes à drogues, mais plus en tant qu’espace-appropriation qu’en tant qu’espace approprié. Ce sont en effet les territorialisations incessantes et inachevées, non institutionnalisées, qui créent l’instabilité politico-territoriale sur laquelle prospèrent les productions du Triangle d’Or et du Croissant d’Or, et non pas les mosaïques territoriales en tant que telles [29] .

 La territorialisation par, pour, et contre l’opium : l’espace convoité

Dans le Triangle d’Or et le Croissant d’Or, les rivalités de pouvoirs et les rapports de forces qui s’exercent autour de la production d’opiacés et des revenus qu’elle permet de dégager entretiennent donc le dynamisme et la vitalité des processus de spatialisation et de territorialisation. En effet, l’espace y est perpétuellement soumis à appropriation, ou à réappropriation, par les acteurs de la scène « narcotique », qu’ils soient étatiques ou non : forces antidrogues des Etats (douanières, policières et militaires), organisations internationales (Nations unies) et non gouvernementales, armées ethniques autonomistes, narcotrafiquants, seigneurs de la guerre et commandants divers, rivalisent tous sur un même terrain afin d’y imposer leurs autorités respectives et leurs projets de développement contradictoires par, pour, ou contre l’opium et son économie illicite.

Si, dans les espaces du Triangle d’Or et du Croissant d’Or, la production d’opiacés semble donc avoir été permise par ces territorialisations multiples et concurrentes, cette même activité économique a également permis, entretenu et accru les processus de territorialisation. L’opium et ses revenus sont devenus le moyen et la fin, ou but, de la territorialisation en y jouant un rôle qui est comparable à celui qu’il a intégré dans la conduite des conflits armés où, du nerf de la guerre, la drogue tend… à en devenir l’enjeu [30] . En effet, l’opium et ses précieuses ressources ont indéniablement financé nombre de conflits d’Asie du Sud-Est et du Sud-Ouest, et donc permis, à travers les rivalités de pouvoirs et les rapports de forces qui s’exerçaient sur l’espace disputé, son appropriation et sa territorialisation. Les guerres d’Indochine et d’Afghanistan en fournissent des exemples éloquents, au même titre que les incessants conflits de type « civil » qui persistent en Birmanie et en Afghanistan (guerre civile à forte dimension transnationale). Mais, comme le montre l’évolution récente des conflits de Birmanie, la drogue est également devenue, du nerf de la territorialisation, son enjeu. Le conflit qui oppose les Wa de l’UWSA aux Shan de la SSA et les déplacements récents de populations tribales depuis la frontière chinoise vers celle de la Thaïlande apparaissent ainsi comme étant clairement motivés par l’appropriation de certaines des terres à pavot les plus réputées de la Birmanie orientale. Moteur de certaines territorialisations, l’opium peut même concurrencer le ressort du phénomène identitaire, ainsi que la transformation des guérillas ethniques autonomistes de Birmanie en guérillas de la drogue a pu le montrer. La drogue et ses profits y ont souvent été substitués à l’idéologie et à l’identitaire, comme ce fut le cas pour les Wa (UWSA) de la faction armée du Communistst Party of Burma ou encore du « roi de l’opium » Khun Sa et de son armée dite « nationaliste » shan.

Mais, si à la territorialisation par l’opium s’ajoute donc celle pour l’opium, il en existe une tierce forme, construite cette fois contre l’opium. Le « fléau de la drogue », tel que le phénomène de la production et de la consommation est couramment représenté, constitue, en fonction de sa nature illicite (et non pas de façon intrinsèque), une double menace pour les Etats et les sociétés, l’une intérieure et l’autre extérieure. A ces menaces sécuritaires et sanitaires déclarées répond une « guerre à la drogue », d’inspiration et d’instigation principalement états-uniennes, dont l’échec maintes fois proclamé n’a pas néanmoins stoppé les efforts. Pour certains, même, cette guerre à la drogue est en train de devenir l’un des principaux moyens légitimant l’accroissement de la capacité des Etats à intervenir dans les domaines nationaux et internationaux [31] . H.T. van der Veen parle ainsi d’un « complexe de la drogue » qui réunirait toute la communauté d’intérêts du monde de la drogue, depuis les narcotrafiquants jusqu’aux appareils d’Etat et aux organisations internationales et non gouvernementales. Selon lui, les dynamiques qui se créent au sein et entre les forces sociales des deux côtés de la loi ne tendent pas à s’équilibrer, mais se renforcent plutôt les unes les autres, soit en agissant de concert, soit par le biais d’ « interactions systémiques » [32] . La militarisation croissante à laquelle on assiste au sein de ce complexe de la drogue, du côté des forces de répression comme de celui des narcotrafiquants, crédite en effet cette approche de la réalité à plusieurs niveaux. La drogue, ici l’opium, a certes permis de financer la militarisation de certains groupes d’acteurs, étatiques ou non, et de régions d’Asie et du reste du monde. L’utilisation des revenus de la drogue par les taliban à travers la taxation des récoltes, le réinvestissement et le blanchiment de l’argent de la drogue en Birmanie, le bénéfice direct que font de nombreux acteurs non-étatiques en Afghanistan, au Pakistan, en Asie centrale, en Birmanie, en Thaïlande, de la production et du commerce de la drogue, permettent le financement direct ou indirect d’une militarisation croissante des acteurs et des régions. Les forces antidrogue des Etats engagés contre l’économie de la drogue font quant à elles souvent mention de leur manque caractérisé de moyens financiers, matériels et humains. C’est ainsi le cas de l’Anti Narcotics Force pakistanaise ou, bien sûr, des unités antidrogue iraniennes dont les victimes de la guerre à la drogue se comptent par milliers.

L’Etat et ses appareils peuvent donc se trouver engagés dans un processus de territorialisation, ou de re-territorialisation, contre la « drogue » et contre les acteurs du narcotrafic. Les dynamiques et les motivations des territorialisations qui caractérisent les espaces du Triangle d’Or et du Croissant d’Or sont donc éminemment contradictoires puisqu’elles se font soit par et pour l’opium, soit contre celui-ci. Les rivalités de pouvoirs et les rapports de force qui s’exercent autour des espaces de production d’opium, d’héroïne, et désormais de méthamphétamine (en Asie du Sud-Est), se traduisent donc par des processus de territorialisations multiples et contradictoires qui sont la caractéristique majeure des situations géopolitiques. Si, comme nous l’avons établi, il n’y a pas un territoire du Triangle d’Or ou du Croissant d’Or, il n’y a pas non plus de territoire de l’opium stricto sensu, mais de multiples territoires dont l’existence est permise par, pour, ou contre l’opium. Mais au-delà des aspects territoriaux de la production d’opium, il y a des terroirs qui sont définis par les qualités physiques particulières des régions de production comme par la qualité des produits obtenus : ainsi, par exemple, de l’opium du Kokang, tellement réputé. Le territoire occupe néanmoins une place centrale dans la compréhension de la géopolitique des drogues, dès lors qu’il ne semble pas pouvoir exister de production de drogues illicites sans appropriation (souvent par spoliation) de l’espace. On ne peut donc parler de territoires de l’opium que dans le sens où l’espace de production est convoité. Et le territoire, espace approprié, ou espace-appropriation, devient systématiquement espace convoité lorsqu’il donne l’accès à l’opium et à ses revenus.

La structuration de l’économie de la drogue par la guerre

Dans la mesure où, à travers leurs territorialisations multiples, les cas afghan et birman nous révèlent la très forte relation qui existe entre l’économie de la drogue et l’économie de la guerre, il apparaît nécessaire d’appréhender la logique sous-tendant l’interpénétration de ces deux économies complémentaires. La question n’est pas ici de déterminer quelles ont pu être les causes fondamentales du déclenchement des conflits afghan et birman, mais quelles sont les relations causales entre l’économie de la drogue et l’économie de la guerre qui, considérées de façon comparative, peuvent nous permettre de confirmer l’hypothèse selon laquelle une certaine intensité et durée de conflit armé explique le recours à l’économie de la drogue et donc sa spatialisation particulière. Le facteur polémologique ne doit toutefois pas être ici considéré à l’exclusion des variables relatives au niveau de développement et à l’ethnicité qui gardent une certaine validité quant à l’explication du déclenchement des conflits liés à l’économie de la drogue.

Ce ne sont pas tant la pauvreté ou le sous-développement qui provoquent, seuls, le recours à l’économie de la drogue, qu’une situation de conflit armé, elle-même déterminée, entre autres facteurs, par un important sous-développement corrélé avec une diversité ethnique hiérarchisée [33] . En effet, sous-développement et, a fortiori, pauvreté constituent un terreau éminemment favorable au déclenchement des conflits ethniques et des guerres civiles qui, nous l’avons précisé, sont à leur tour les facteurs déterminant du recours à l’économie de la drogue. La pratique récemment adoptée par certains chercheurs [34] , qui consiste à traiter, de façon empirique et à l’aide d’outils économétriques, les différentes variables communément considérées comme jouant un rôle déterminant dans le déclenchement des conflits de guerre civile, cherche à remettre en cause certaines conceptions politologiques, sociologiques, anthropologiques ou géographiques du phénomène polémologique [35] . Les travaux de Paul Collier, notamment, remettent en cause de façon empirique l’explication communément avancée selon laquelle une importante diversité ethnique constitue un terrain systématiquement favorable au déclenchement des guerres civiles [36] , ainsi que celles des inégalités socio-économiques, de la répression politique et des divisions ethniques et religieuses [37] . L’auteur, et d’autres avec lui, estiment que c’est la faisabilité de la prédation qui détermine le risque de conflit, et que même si ce qu’il caractérise de griefs (grievances) sociaux, politiques et, ou, économiques peut certainement générer d’intenses conflits politiques, et donc sociaux, ces mouvements de mécontentement ou de contestation ne se traduisent que rarement par une violence armée de type guerre civile [38] . Empiriquement, les griefs, même aggravés par une répartition inégalitaire de l’accès aux ressources politique, économique et sociale, déterminée par une importante stratification ethnique, ne sont pas systématiquement associés au déclenchement des guerres civiles de ces quarante dernières années.

P. Collier propose alors une « théorie du lucre » (‘greed’ theory) [39] , mettant l’accent sur le rôle primordial de la capacité à financer une rébellion, donc le déclenchement d’une guerre civile, qu’il oppose à une « théorie du grief » (‘grievance’ theory) qui considère les variables de diversité ethnique, de répression politique et d’inégalité comme déterminantes. Il en vient, toujours de façon empirique, à observer et à conclure que, dans les mécanismes déclencheurs des guerres civiles, « le lucre prime sur le grief » [40] . Il rationalise ainsi le déclenchement d’une guerre civile en avançant que toute entrée en rébellion est soumise à l’obtention préalable de moyens financiers permettant un financement plus ou moins autonome du groupe concerné, et que les opportunités de financement constituent le facteur clé du déclenchement d’une guerre civile. Il insiste notamment sur l’importance de la possibilité de prédation opérée par une rébellion sur des ressources naturelles qui, à la différence des richesses issues des structures industrielles de production, permettent d’autant plus son financement qu’elles sont localisées en zones rurales et souvent dans des régions dominées par les groupes entrés en rébellion. Cet aspect proprement géographique est aussi particulièrement souligné par James D. Pearon et David D. Laitin qui détaillent comment des groupes ethniques minoritaires disposeront d’autant plus de moyens financiers et stratégiques pour entrer en rébellion qu’ils possèdent et maîtrisent des bases régionales principalement rurales et caractérisées par un terrain « difficile », à forte couverture forestière par exemple, mais surtout au relief tourmenté [41] . Les trois auteurs considèrent bien sûr aussi l’existence transfrontalière de groupes identitaires apparentés, ou encore celle de diasporas ou de communautés expatriées, comme financièrement favorables à la rébellion [42] . L’existence de gouvernements hostiles peut bien sûr aussi contribuer au financement des rébellions, qu’il s’agisse de leur déclenchement ou de leur perpétuation, ainsi que le soutien que l’Inde et la Birmanie ont apporté à leurs minorités transfrontalières respectives a pu le montrer [43] .

La théorie du lucre est basée sur une approche pragmatique et économique du phénomène de guerre civile qui prend en compte avant tout sa viabilité, sa faisabilité économique, à travers les dialectiques, qui se recoupent entre elles, des coûts et des bénéfices, ainsi que des contraintes et des préférences [44] . Il faut que le groupe donné, qu’il possède déjà ou non un grief suffisamment motivant et justificateur, connaisse de fortes préférences pour l’entrée en rébellion, en conflit contre l’Etat, et fasse l’expérience de faibles contraintes de la part de celui-ci. Mais, bien sûr, ses propres conditions économiques et politiques peuvent également être appréhendées à travers une grille de lecture préférences / contraintes, le coût, financier, social et politique, de la guerre devant logiquement être inférieur aux bénéfices qu’elle peut procurer. C’est précisément là que la variable « ressources naturelles » intervient en tant que déterminant principal d’une entrée en rébellion, l’appât du gain, licite ou illicite (que ce soit la ressource ou son exploitation qui soit illicite), le lucre, y jouant un rôle central. A l’instar de l’explication causale par la pauvreté qui peut être faite du recours à l’économie de la drogue, l’explication du recours à la rébellion armée par la théorie du grief n’est pas satisfaisante dès lors qu’il est aisément observable que ni la pauvreté ni les griefs n’expliquent de façon systématique le recours à l’une ou à l’autre des deux stratégies [45] . Mais, quelle que soit sa validité quant à l’explication du déclenchement des guerres civiles, contestable par les approches politiques et ethnologiques des conflits, la théorie du lucre reste intéressante dès lors qu’elle permet d’appréhender la pérennisation des conflits de guerre civile, la prédation par les groupes rebelles des ressources leur procurant des revenus devenant, « du nerf de la guerre », leur enjeu.

Dès lors qu’il existe d’une part une forte corrélation entre l’économie de la guerre – ici en l’occurrence civile – et celle de la drogue, et qu’il existe d’autre part une relation déterminante entre un fort potentiel de prédation des ressources et le déclenchement et la prolongation d’un conflit, c’est la troisième relation – celle qui existe entre la « théorie du lucre » et l’économie de la drogue – qui permet d’appréhender les logiques concourantes de l’économie de la guerre et de celle de la drogue. Les exemples des conflits afghan et birman, ainsi que le rôle que l’économie de la drogue a joué dans leurs perpétuations respectives, illustrent très clairement ce système et sa logique récurrente. Et ce au même titre bien sûr que le rôle joué par la guerre dans le développement et la pérennisation des espaces de production illicite du Croissant d’Or et du Triangle d’Or et plus particulièrement en Afghanistan et en Birmanie. Il n’est pas ici question d’avancer que les conflits afghan et birman sont le résultat de considérations économiques de type prédatrices et cupides puisque, en effet, ainsi que l’exprime G. Bouthoul, il ne faut pas confondre l’aspect économique des conflits avec leur nécessité ou leur fatalité économique [46] . D’autant plus que, dans le cas des conflits afghan et birman, on connaît bien les conditions de leurs déclenchements respectifs, le rôle de l’intervention soviétique en Afghanistan (qui n’est pas à proprement parler une guerre civile, même si la fragmentation politique afghane d’avant-guerre est loin d’être exempte de responsabilités, mais un confit d’instrumentalisation transnationale [47] ) et celui du conflit postcolonial en Birmanie (qui correspond déjà plus à un conflit de type « guerre civile »). Il s’agit plutôt de montrer l’intégration du recours à l’économie de l’opium dans les stratégies d’autofinancement de belligérants qui, dans les deux pays, ont vu disparaître leurs subsides étrangers. Quelles qu’aient été les motivations et les griefs ayant initié les conflits politiques dans les deux pays, le financement de leurs conflits respectifs, et a fortiori celui de leurs perpétuations, a impliqué le recours à l’économie de la drogue qui, à son tour, concurremment nerf et enjeu des conflits, a ancré ensemble et pérennisé les territoires de la guerre et de l’opium [48] .

Ainsi que tend à le démontrer la quinzaine de cessez-le-feu passés entre la junte birmane et les rébellions ethniques, les considérations nationalistes, indépendantistes et autonomistes qui animaient et motivaient ces dernières dans leur lutte armée contre l’Etat ont fini par céder face aux opportunités économiques que permettait la négociation. Si le lucre (en l’occurrence celui permis par le libre commerce, notamment celui des opiacés) semble bien avoir primé sur les griefs dans les logiques ayant mené à la signature des cessez-le-feu, il est en tout cas évident que les bénéfices d’une paix négociée au détriment du règlement des griefs originels se sont révélés plus attractifs que les coûts d’une guerre prolongée et apparemment sans issue militaire favorable aux groupes insurgés. L’instrumentalisation des Wa de la UWSA par la junte, comme celle de la junte par la UWSA d’ailleurs, fournit un exemple probant du rôle moteur de l’économie de la drogue dans la logique politico-territoriale du conflit birman ; l’importance des préférences et des bénéfices que présente l’engagement conflictuel étant évidents pour la junte comme pour les Wa, alors que les contraintes et les coûts se révèlent presque inexistants, à court terme du moins. Là encore, et de façon on ne peut plus claire, la théorie du lucre se révèle particulièrement pertinente.

Quant à la production d’opium afghan dans des régions majoritairement pachtoun, qui contrevient à une explication de type grief ethnique qui pourrait toutefois convenir au cas birman, elle s’intègre également dans cette logique triangulaire drogue – guerre – lucre selon laquelle la drogue a d’une part financé la poursuite d’un conflit que les financiers étrangers avaient abandonné (fin de la guerre froide) et a d’autre part alimenté la fragmentation politique, militaire et territoriale de l’Afghanistan entre 1989 et 1994-96, lorsque les taliban ont fait irruption dans le paysage politico-militaire du pays. Les rivalités des nombreux partis de moudjahidin pendant la guerre puis celles des innombrables commandants après le retrait soviétique ont considérablement accentué le recours à l’économie de la drogue afin d’alimenter leurs luttes intestines [49] . En Afghanistan, la fragmentation politique et militaire a permis un recours croissant à l’économie de la drogue qui a alors à son tour encouragé la logique du conflit et de la fragmentation : guerre et fragmentation se sont auto-entretenues grâce à l’économie de la drogue qui permettait le lucre et viabilisait l’économie de la guerre. Les taliban ont également profité de cette manne économique que représentait l’opium dans un pays en pleine déliquescence économique et dans lequel le coût instantané et cumulé de la guerre devenait de plus en plus lourd. Et ils ont surtout toléré et tacitement consenti à l’explosion de la production en 1999, dans le cadre de ce qui était très probablement une stratégie d’obtention d’un soutien populaire intérieur financé par l’opium. Logiquement, le rapport coût / bénéfice et contrainte / préférence était particulièrement attractif pour le nouveau régime.

Si les causes du recours massif à l’économie de la drogue en Birmanie et en Afghanistan peuvent être trouvées dans les situations conflictuelles qui l’alimentent, lesquelles ont été initiées au plan politique par l’existence de griefs de diverses natures (nationaux, religieux, ethniques, sociaux…), ces mêmes situations conflictuelles en sont venues à ne plus exprimer lesdits griefs mais à traduire des rivalités de pouvoir et de forces qui s’exprimaient sur les ressources et les revenus que la drogue (et, en général, la contrebande) constitue et permet. En Afghanistan comme en Birmanie, les griefs ont cédé le pas au lucre, à l’attrait du profit illicite, au sein des logiques du recours à l’économie de la drogue. La production de drogue a pu bénéficier dans les deux pays des mêmes conditions favorables à son développement que la guerre civile : elle a joui, considérant l’effet de système qui lie l’économie de la guerre à celle de la drogue, d’une forte préférence à leur recours et, compte tenu du peu d’emprise de l’Etat ou du gouvernement sur le territoire « national », d’une faible contrainte y contrevenant.

[1] Pierre-Arnaud CHOUVY est géographe chargé de recherches au CNRS (UMR 8586 PRODIG). Ses recherches portent sur les territoires en crise d’Asie et les activités illicites qui y ont cours. Il est l’auteur de deux ouvrages : Les territoires de l’opium. Conflits et trafics du Triangle d’Or et du Croissant d’Or, aux éditions Olizane (Genève, 2002) ; et, en collaboration avec Joël MEISSONNIER, Yaa Baa – Production, trafic et consommation de méthamphétamine en Asie du Sud-Est continentale, aux éditions L’Harmattan – IRASEC (Paris – Bangkok, 2002). Il produit www.geopium.org, où nombre de ses articles peuvent être consultés.

[2] Chiffres correspondant aux estimations moyennes faites annuellement par le Programme des Nations unies pour le contrôle international des drogues (Pnucid) dépendant de l’Office contre la drogue et le crime (UNODC).

[3] Pour plus de détails historiques et géographiques à propos du Triangle d’Or et du Croissant d’Or, voir : Chouvy P.-A., 2003, Géopolitique des drogues illicites en Asie, Hérodote, n° 109, pp. 163-189 ; Chouvy P.-A., 2001, L’importance du facteur politique dans le développement du Triangle d’Or et du Croissant d’Or, CEMOTI, juillet – décembre 2001, n° 32, pp. 69-86.

[4] Barrau J., Bernot L., Chiva I., Condominas G., Introduction, Etudes rurales, Agricultures et sociétés en Asie du Sud-Est continentale, 1974, N° 53-56, p. 10.

[5] Dupree L., 1980, Afghanistan, Princeton, Princeton University Press, p. 55.

[6] Centlivres P., Centlivres-Demont M., 1988, Et si on parlait de l’Afghanistan ?, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme.

[7] Barrau J., Bernot L., Chiva I., Condominas G., 1974, p. 10.

[8] Foucher M., 1991, Fronts et frontières, Paris, Fayard, p. 301.

[9] Canfield R.L., 1986, Ethnic, Regional, ans Sectarian Alignments in Afghanistan, in Banuazizi A. & Weiner M., 1986, The State, Religion, and Ethnic Politics. Afghanistan, Iran, Pakistan, New York, Syracuse University Press, p. 97 ; Edwards M. E., Baumann J.B., 1977, Eye for an eye: Pakistan’s Wild Frontier, in National Geographic, January 1977, p. 122 ; Ispahani, M.Z., 1989, Roads and Rivals : the Politics of Access in the Borderlands of Asia, London, I.B. Tauris & Co Ltd Publishers, p. 141.

[10] Voir, pour une définition de l’espace social : Taillard C., cité par Condominas G., in : Condominas G., 1980, L’espace social à propos de l’Asie du Sud-Est, Paris, Flammarion, p. 63.

[11] Wilber D.N., 1962, Afghanistan, its people, its society, its culture, New Haven, Human Relation Area Files Press, p. 43 ; Leach E., 1954, Political Systems of Highland Burma : A Study of Kachin Social Structure, London, The London School of Economics and Political Science, G. Bell and Sons.

[12] Hoerner J.-M., 1996, Géopolitique des territoires. De l’espace approprié à la suprématie des Etats-nations, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, p. 11.

[13] Dans le tiers-monde, l’espace est souvent réticulaire, plus fondé sur les réseaux que sur des territoires fermés : Hoerner J.-M., 1996, p. 27, note 9.

[14] Weiner M., 1987, Political Change: Asia, Africa, and the Middle East, in Weiner M., Huntington S.P., 1987, Understanding Political Development, Prospect Heigths, Waveland Press, p. 34.

[15] Foucher M., 1991, p. 45.

[16] Pour M. Foucher, les frontières ne séparent pas seulement des espaces, des Etats, mais aussi… des « temps socio-culturels » radicalement distincts : Foucher M., 1991, p. 36.

[17] Prescott J.R.V., 1965, The Geography of Frontiers and Boundaries, Chicago, Aldine, p. 90 ; Voir Thongchai Winichakul, 1994, Siam Mapped, A History of the Geo-body of a nation, Chiang Maï, Silkworm Books, pp. 70, 76.

[18] Définition du Grand Robert.

[19] Schendel W. van, Abraham I., 2000, Beyond Borders : (Il)licit Flows of Objects, People, and Ideas, New York, Social Science Research Council, Discussion Paper, p. 7.

[20] Gay J.-C., 1995, Les discontinuités spatiales, Paris, Economica, p. 41.

[21] Taillard C., 1995, Le Laos, enclave ou carrefour, in Antheaume B., Bonnemaison J., Bruneau M., Taillard C., 1995, Asie du Sud-Est, Océanie, Géographie universelle, Paris, Reclus, p. 164.

[22] Chouvy P.-A., 2002, Les itinéraires majeurs du narcotrafic en Asie, in Foucher M. (Dir.), 2002, Asies nouvelles, Paris, Belin, pp. 172, 173.

[23] Lacoste Y., 1993, Dictionnaire de géopolitique, Paris, Flammarion, p. 3.

[24] Frémont A., 1976, La région, espace vécu, Paris, Flammarion, pp. 80-82.

[25] Hoerner J.-M., 1996, p. 189.

[26] Hoerner J.-M., 1996, p. 98.

[27] Foucher M., 1991, pp. 301-302.

[28] Chouvy P.-A., 2003, Les aléas de la production d’opium et des pouvoirs en place en Afghanistan, des taliban au gouvernement, www.diploweb.com, mai 2003. Chouvy P.-A., The ironies of Afghan opium production, in Asia Times (www.atimes.com), 17 septembre 2003.

[29] Chouvy P.-A., 2001, L’importance du facteur politique dans le développement du Triangle d’Or et du Croissant d’Or, CEMOTI, juillet – décembre 2001, n° 32, pp. 69-86.

[30] Labrousse A., Koutouzis M., 1996, Géopolitique et géostratégie des drogues, Paris, Economica, p. 32.

[31] Veen, H.T. van der, 1999, The international drug complex, Amsterdam, CEDRO (Centre for Drug Research), http://www.frw.uva.nl/cedro/

[32] Veen, H.T. van der, 1999.

[33] Elbadawi I.A., 1999, Civil Wars and Poverty: the Role of External Interventions, Political Rights and Economic Growth, Conference on “Civil Conflicts, Crime and Violence”, World Bank,Washington, D.C., 22-23 February, 1999, 39 p., http://www.worldbank.org/research/conflict/index.htm.

[34] Notament : Paul Collier, Anke Hoeffler, Mans Söderbom, Indra de Soysa, James D. Fearon, David D. Laitin. Voir http://www.worldbank.org/research/conflict/index.htm.

[35] Collier P., 2000, Economic Causes of Civil Conflict and their Implications for Policy, Washington, Economics of Civil War, Crime, and Violence Research Project, Policy Research on the Causes and Consequences of Conflict in Developing Countries, World Bank, 23 p., http://www.worldbank.org/research/conflict/index.htm.

[36] Collier P., Hoeffler A., 2001, Greed and Grievance in Civil War, Washington, Economics of Civil War, Crime, and Violence Research Project, Policy Research on the Causes and Consequences of Conflict in Developing Countries, World Bank, 41 p., http://www.worldbank.org/research/conflict/index.htm.

[37] Collier P., 2000.

[38] Collier P., 2000.

[39] Il a ici été fait le choix de traduire greed par « lucre » et grievance par « grief ». Les termes « avidité » et « cupidité » ont été considérés mais n’ont pas été retenus pour avoir été jugés trop péjoratifs et subjectifs. Le Grand Robert donne la définition suivante, moderne et également péjorative mais plus marquée par le caractère illicite du profit, de « lucre » : Profit plus ou moins illicite dont on est avide.

[40] We find that greed considerably outperforms grievance : Collier P., Hoeffler A., 2001.

[41] M.Z. Ispahani (1989, p. 140) mentionne le cas de figure afghan tel que perçu par un acteur notoire de la guérilla moudjahidin, Gulbuddin Hekmatyar : “Mountains are our ‘forests’… Just as the Americans could not compete with the Vietnamese in the jungle, the Russians will fail in the mountains”.

[42] Pearon J.D., Laitin D.D., 1999, Weak States, Rough Terrain, and Large-Scale Ethnic Violence Since 1945, Paper presented for delivery at the 1999 Annual Meetings of the American Political Science Association, 2-5 September 1999, Altanta, GA, and the Conference on The Economic of Political Violence, March 18-19, 2000, Center of International Studies, Princeton University 52 p.

[43] Les aides financières étrangères sont particulièrement importantes dans le déclenchement des guérillas ou des guerres civiles, comme le rôle des Etats-Unis, de l’Arabie saoudite et du Pakistan a pu le montrer lors du djihad afghan, ou encore lors du soutien chinois aux PC d’Asie du Sud-Est et en particulier à celui de Birmanie. La cessation de ces aides et soutiens s’est à chaque fois traduite par un recours à l’économie de la drogue, tant en Afghanistan qu’en Birmanie.

[44] Collier P., 2000.

[45] Collier P., Hoeffler A., 2001.

[46] Bouthoul G., 1991 (1951), Traité de polémologie. Sociologie des guerres, Paris, Payot, p. 226.

[47] Rubin B.R., Ghani A., Maley W., Roy O., 2001, Afghanistan: Reconstruction and Peace-building in a Regional Framework, KOFF Peacebuilding Reports, Centre pour la promotion de la paix, Fondation suisse pour la Paix (FSP), 47 p.

[48] Collier P., Hoeffler A., Söderbom M., 1999, 1999, On the Duration of Civil War, Washington, Economics of Civil War, Crime, and Violence Research Project, Policy Research on the Causes and Consequences of Conflict in Developing Countries, World Bank, 21 p., http://www.worldbank.org/research/conflict/index.htm.

[49] Rubin B.R., 1995, The Fragmentation of Afghanistan: State Formation and Collapse in the International System, New Haven / London, Yale University Press, pp. 226, 230, 247.

About the author

Pierre-Arnaud Chouvy

ENGLISH
Dr. Pierre-Arnaud Chouvy holds a Ph.D. in Geography from the Sorbonne University (Paris) and an HDR (Habilitation à diriger des recherches or "accreditation to supervise research"). He is a CNRS Research Fellow attached to the PRODIG research team (UMR 8586).

FRANCAIS
Pierre-Arnaud Chouvy est docteur en géographie, habilité à diriger des recherches (HDR), et chargé de recherche au CNRS. Il est membre de l'équipe PRODIG (UMR 8586).

www.chouvy-geography.com